Par Paul Reboux et Charles Müller
Chrysopompe* a la démarche délibérée, la poitrine vaste, les mains épaisses, l’estomac plein, le ventre rond, le visage ovale, le menton moyen, le nez ordinaire. Ne lui cherchez point de signe particulier.
Il parle assurément, tousse, crache, se mouche avec fracas ainsi que les gens du commun. Pourtant Chrysopompe est superbe. Il fait l’important, il s’enfle, il se pavane. Il dit de soi-même : un homme de ma qualité ; et nul n’oserait lui faire une représentation. C’est qu’il possède d’immenses biens de fortune. Issu d’un rang médiocre, il s’est élevé petit à petit. Voici que les grands le souffrent. Il a relation avec les hommes en place et les mieux nés, bien qu’ils le tiennent pour un croquant. Au vrai, ses vues sont courtes. Il ne sauroit distinguer un fripon d’avec un tire-laine ni l’un et l’autre d’avec un financier. Mais Chrysopompe jouit d’un bienfait qui remplace en ce monde l’étendue d’esprit. Si l’on ne voit point briller de clartés en ses discours, l’or éclate sur ses lambris, sur son carrosse et sur tout son domestique. Passez à la caisse où il resserre ses pistoles, elle est pleine à ras-bord. Son nom même marque une insatiable soif d’avoir et de posséder. Chrysopompe nous en étourdit. Il le répète, il le proclame, il l’affiche, il le fait broder sur les coiffures de ses gens, peindre sur ses chars ; en chaque carrefour des placards fixés aux murailles le glorifient. Aussi bien ce nom est-il célébré par les intelligences bornées et foibles, par les imbéciles qui ne savent se défendre contre ce qui est dit et redit. Chrysopompe publie qu’il débite mille denrées propres aux nécessités de l’homme et au contentement de son orgueil. Ses comptoirs s’achalandent. Aussitôt, il étale sa largesse. « Prenez, dit-il, et sans retenue. Je vous fait crédit. » Mais quand écherra le billet où nos inconsidérés ont apposé leur seing, les commis de Chrysopompe réclameront inexorablement la dette. Point de quartier. Il n’y a nulle composition à attendre d’un homme si plein de ses intérêts et si ennemi des vôtres. Avez-vous traité ? Vous languirez bientôt, pressés et indigents. Sous le dôme relevé d’or qui surmonte son palais, on vend des tapisseries, des eaux de senteur, des écritoires, des coffres, des lèchefrites, des rabats, des machines à coudre les hardes, des bassins, des cassettes, des chausses, des rouets, des mobiliers par milliers. Il n’est rien dont Chrysopompe ne tienne boutique, sauf de miséricorde.
Revue Le Capitole, avril 1924
*Note de l’éditeur : Chrysopompe (« Celui qui montre son or ») est M. Dufayel, marchand de mobilier qui inventa la vente par abonnement.