Ur ou la fin de l’amour

par Gilbert Joncour

À Jean-Michel Fossey


Quand un peuple ne supporte plus la mort lente à laquelle il a été condamné, sous la pression et les menaces d’un seul état, qui cherche aujourd’hui à prendre le pouvoir d’une planète, en se déclarant gendarme protecteur d’un monde qu’il cherche à asservir.

Entre un peuple qui meurt et une puissance qui cherche en réalité à détruire toute trace du passé pour mieux faire main basse sur l’avenir.

J’ai choisi.

Héritier et bâtisseur, j’ai choisi.

De plus je demeure évolutionnaire car je sais qu’à un moment de notre histoire, il nous faut toujours retourner le sablier.

Je ne serai jamais dans le camp des conquérants destructeurs, ni des impérialistes vainqueurs.

C’est une question de conscience, je n’y peux rien.

Infiniment situé entre centre et absence, j’écoute la voix d’Henri Michaux, qui dit toujours…

« quand le malheur tire son fil, comme il découd, comme il découd… »

Lancer des missiles de croisière baptisés Tomahawk sur le berceau de l’humanité est le comble de l’horreur programmée.

Lorsqu’on a brisé toutes les nations indiennes et avili leurs descendants, mis au rencard les anciennes divinités et des rites multi-millénaires,

Lorsqu’on est fruit d’un nouveau monde qui entend donner des leçons de morale aux anciens arbres vénérables,

Lorsqu’on est issu des nouveaux riches et d’un territoire spolié à des tribus nomades,

Lorsqu’on pose son cul sur la montage du fric, qu’on exploite les sols, les cerveaux, les richesses, les faiblesses, les élites et les masses,

Lorsqu’on s’est trompé sur l’Europe, sur l’Asie, sur l’Afrique, et qu’on exporte les produits ultra-performants d’un système qui a fait abattre son Président, jugé trop pacifiste,

Lorsqu’on est natif d’un monde multiracial, qui a fait assassiner un leader noir, trop charismatique, lorsqu’on est jeune, qu’on ne sait pas,

Lorsqu’on ne fait même plus rêver et qu’on déçoit des millions d’hommes. Lorsque le jour soudainement s’arrête sur des aiguilles pétrifiées, que dire à une ville, sinon que la nuit finira.

Quelle graine semer ou quel espoir bercer, quand on ne peut plus rien promettre ?

Les mots ne sont pas que des mots, ce sont des milliards de morts qui nous accompagnent dans la poussière des écritures, pour une autre lumière, pour d’autres qui viendront.

Nul ne détruira jamais le berceau de l’humanité, ni ses premiers balbutiements, ni la clarté de l’espérance.

Pour tous les religieux et pour tous les athées, la prière du vendredi à Bagdad vaut bien la messe du dimanche à Washington.

À force de chercher à tâtons une lueur dans l’obscurité, je garde les yeux ouverts, et je ne rêve plus à l’éternelle clarté d’une Amérique, ni aux mille et une nuits, je crois en l’être humain, en ses idées et en ses actes, lorsqu’ils portent la vie et qu’ils montrent la voie, afin d’éclairer l’humanité sur le chemin fraternel de l’amour et de la paix, qui nous conduit, croyants ou incroyants, vers un monde meilleur, vers la fin des ténèbres, vers la lumière inoubliable.


Gilbert Joncour, Hors Jeu, n° 58, juillet 2009


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