Le Roi de Moscovie et le Ministre

Comédie en un acte, composée par le

Sieur de la Rue de la Tour1

Scène 1

Où l’on voit le Comte de Parleciel se plaindre auprès du Roi François Ier2, dit le Batave, par un libelle amer, dont le peuple a eu connaissance, de ce que les Fermiers Généraux lui soustraient tous les gains pourtant honnêtement acquis, menant ce bateleur renommé à la disette.
La scène se passe dans le bureau privé du Roi. Ce dernier tient en main une missive dont il lit des passages à haute voix


Le Roi
Le regard concentré et le visage rouge de colère.
Quel rustre ! Il se plaint d’être dépouillé,
Alors que par le Trésor du Royaume
D’Écus sonnants il est comblé
Plein les poches et les paumes.
Il lit, avec un visage courroucé :
« Sire, Votre Majesté est la protectrice des malheureux.
Voilà que vos fermiers généraux cupides
Non contents d’affamer les nécessiteux
Ruinent les riches aux mains vides.

Si ces rapaces saisissent mes biens
Je ne pourrai demeurer sous ces cieux ;
Ainsi malgré moi contraint
Je dois rejoindre d’autres lieux

Le Tsar hospitalier de Russie
Me comptera parmi ses sujets
Et même ministre de Mordovie
Malgré les amers quolibets.

Je serai du Tsar Vladimir
Dont j’étreins les genoux
Le serviteur humble et doux,
Fondant, souple comme la cire. »
Ulcéré, il jette à terre la supplique et quitte les lieux en claquant la porte.

Scène 2

Le décor est un Palais de Russie. Un salon d’apparat dont les murs sont couverts de portraits impériaux accrochés à de lourdes tentures rouges. Sur un trône énorme repu de stuqueries dorées et de riches draperies de goût oriental, surmonté d’une icône, siège Sa Majesté Impériale Vladimir en tenue d’apparat ; sur sa tête repose une couronne dorée étincelante de pierreries trop brillantes et qui semble peser lourd. Ses pieds ne touchent pas terre. Autour de lui, maints gardes de grande taille scrutent les alentours d’un air patibulaire. Devant le Tsar, une foule de courtisans richement parés d’habits neufs cause bruyamment tout en palpant la taille de courtisanes aux chevelures blondes spectaculaires et à la poitrine épanouie. Sa majesté impériale contemple le spectacle d’un regard satisfait. Sa mine s’assombrit périodiquement quand il entend à sa gauche un ronflement émis par son Vice-Roi qui fléchit sous l’empire de l’eau de vie dont il a abusé ; un garde italien retient ce dernier par le coude pour prévenir une chute. Deux cérémoniaires habillés comme des bedeaux frappent ensemble le sol de leur canne. Ils font entrer et introduisent le Comte de Parleciel. Celui-ci est un colosse roux, engoncé dans un étrange costume neuf de moujik endimanché, mal ajusté à sa taille débordante, et dont il a déboutonné la moitié du pourpoint. Il s’avance pesamment, transpirant d’abondance, saluant gauchement les nobliaux rubiconds, adressant des œillades aux dames blondes qui gloussent de plaisir. Une horde de gazetiers et de portraitistes s’élancent à sa suite pour tenter de saisir l’événement ; d’un geste, Sa Majesté impériale ordonne aux gardes de les repousser prestement, ce qu’ils font en bousculant la cohorte jusqu’au-dehors.
Parvenu au pied du trône, manquant de peu de choir lourdement dans un pli du tapis repris aux Perses, le Comte tombe opportunément à genoux devant le Tsar et s’exclame :
Le Comte
Sire, Votre Impériale Majesté,
Non contente de régir en monarque éclairé
Un empire vaste comme un continent,
Accueille ceux qu’un injuste tourment
Contraint à fuir les impécunieux rapaces
Qui dépouillent riches et populace.
Le Tsar, dont ont distingue la jubilation assortie d’une ironie marquée du regard, attend volontairement un instant avant de répondre, en se gardant d’inviter le Comte à se relever en dépit de signes d’inconfort croissant que ce dernier affiche.
Le Tsar
Monsieur, qu’il m’est doux de remettre
À un si méritant ami de la Russie
Que des jaloux appelleront traître
Ce passeport qui désormais le lie.

Je vous veux ministre,
Ambassadeur de notre culture
Auprès des ignares sinistres
Qui crient à la forfaiture.

Vous serez pareillement
Des riches arts de France
Le cierge brillant au firmament,
Témoin de ma munificence.

De Russie vous embrasserez le langage
Pareil au terreau nourricier fécond,
Comme en un amoureux mariage
Dont vous proclamerez les dons.

Je vous envoie donc en Mordovie,
Ministre dont vous épouserez le sol,
Comme en une allante comédie
Jouant votre plus beau rôle.
Le Comte
Rubicond, ému et cherchant ses mots tout en se relevant :
Ah, permettez de grâce,
Que pour l’amour du russe,
Monsieur, on vous embrasse3.

Je m’en vais de ce pas clamer vos bienfaits
Sur les terres de Mordovie
Aux serfs stupéfaits
Tirés de Sibérie.

Et pour ce beau voyage,
Que votre impériale majesté
Pour constituer équipage
Me laisse retirer
Ces modeste cothurnes
Et dans un logis de fortune
Revêtir une tenue
Digne de cette venue.
Le Comte esquisse une génuflexion, tente de reculer en manquant de chuter, se retient in extremis à la cape d’un courtisan, déclenchant des rires mal étouffés, et se retire.

Scène 3

Dans une auberge crasseuse mal éclairée par quelques lumignons fumants, la salle principale est occupée par une foule d’ivrognes attablés, imprégnés d’eau de vie, qui s’esclaffent bruyamment, lorsque le Comte la traverse pour rejoindre l’aubergiste, un géant barbu aussi saoul que les convives. Se frayant difficilement un chemin, alors que les braillards agrippent au passage les bouts de son pourpoint, le Comte parvient jusqu’au tenancier oblique.
Le Comte
Réveille-toi, humide fainéant,
Sais-tu que le Ministre de Mordovie
Devant toi ici présent
Va passer la nuit,
Illustre hôte d’un modeste estaminet,
Qu’une foule curieuse vient examiner ?
L’aubergiste
Ah, c’est vous l’exilé magnifique,
Ingrat saltimbanque agité
Qui délaissa le Royaume de Belgique
Dont il quémanda la nationalité ?
Le Comte
Je ne puis à ces étroites plaines brumeuses
Accorder la présence de ma grandeur,
Et dus trouver contrée plus prestigieuse
Pour héberger mon or et mes ardeurs.
Ne pouvant dans une petite royauté
En pingre Flandre ou pauvre Wallonie
Poser mon céans et connaître félicité,
Manger, boire, jouir de la vie.

Aussi, je jetai mon dévolu
Sur l’immense Empire
Dont l’éclairé Monarque de moi bien voulut.
Protecteur des Arts, de la Fortune, Sa Majesté Vladimir
De l’indéfectible admirateur de ses bienfaits,
Et miroir glorieux du génie de la France,
Fit de la grande Russie un sujet parfait.
À genoux devant sa généreuse prestance,
De toute éternité je tracerai ses louanges.
Ce sage guide d’un peuple asservi
Tira les serfs de la fange.
De naphte et de ducats couvert comme ses amis,
Il m’ouvrit la route du bonheur
Réservé aux toutes puissantes divinités
Qui de l’Olympe occupent les hauteurs
Et déploient leur éclat illimité.
L’aubergiste
Visiblement énervé, il tend une feuille au Comte et penche sa tête au-dessus de son épaule pour lire la lettre royale.
Tout cela et bel bon, mais lisez le présent pli
Que le Roi des Belges vous délivre.
Courroucé par votre impertinent repli,
Il vous croit sot, duplice ou ivre.
Le Comte
Embarrassé, il lit à haute voix.
« Monsieur, par magnanime charité,
Me souvenant de votre charme, de vos talents,
En mes douces terres j’octroyai
Le gîte, l’abri, à votre corps branlant.
Sans gêne ni ménagement
Vous quittâtes mon pays incontinent
Pour rejoindre des Russes le firmament
Mais sous vos pieds votre honneur piétinant.

Ne revenez plus en notre contrée
Cacher vos errements et turpitudes,
Ne cherchez point à encarter
Une fallacieuse belgitude.
Je vous croyais sacré castar
Mousseux comme la bière.
Je vous découvre trop tard
Tel un cache-misère.
De notre Royaume vous êtes banni
Et n’y reviendrez jamais
Sans espoir de sauf-conduit. »
Quelque peu honteux, le Comte met vivement dans sa poche le pli que l’aubergiste lisait par-dessus son épaule, puis il monte dans sa chambre.

Scène 4

Installé dans un carrosse découvert chamarré, suivi de trois fourgons emplis de ses bagages, le Comte fait son entrée à grande vitesse dans la cour de son palais de Mordovie. Il répond en saluant de la main aux acclamations des moujiks qui forment une haie de part et d’autre de la grille d’honneur. Descendant trop vite du carrosse, il manque une marche et retombe lourdement sur ses pieds dans une flaque qui l’éclabousse d’abondance. Poussant un juron, il regarde son pourpoint maculé et, bousculant le majordome en grand uniforme, entre dans le palais, n’écoutant rien des paroles de bienvenue de ce dernier, dont il ne comprend pas tout le sens, sa science du russe étant encore incomplète. Aux premiers pas, il s’arrête brusquement, saisi d’admiration devant une ravissante jeune femme blonde au chignon soigné parsemé de pierreries, le cou de cygne entouré d’un collier de diamants de taille respectable. Une somptueuse robe visiblement apportée d’un grand faiseur d’Europe enveloppe comme dans un écrin celle dont le sourire discret mais assuré suffit à saisir le Comte. Elle s’incline en une digne révérence.
Avant qu’elle n’ait pu ouvrir la bouche et révéler à travers ses lèvres purpurines la blancheur immaculée de ses dents que rien n’avait altérée, et avant même que le majordome n’eût le temps de présenter la jeune femme, le Comte, saisi de fougue, se précipite vers elle, s’agenouille pour que sa tête parvienne à la hauteur de la gracieuse beauté sculpturale, et attirant cette dernière par la taille, l’embrasse fougueusement et tous deux tombent sur le sol. Sur ces entrefaites, quatre colosses lettons saisissent par le col le Comte muet de surprise et, sans qu’il puisse émettre un son, le bâillonnent et le jettent sans ménagement dans un petit cabriolet où ils le lient durement avant que de partir au grand galop. Seuls les coups de fouet du cocher troublent le silence de l’assistance paysanne médusée.
Dans le cabriolet, le Comte, outre deux gardes, fait face à un personnage sinistre de noir vêtu, qui tient un pistolet à la main et le regarde d’un air menaçant
Le Comte
Or çà, manant, que fais-tu ?
Sais-tu qui est celui que tu maltraites
Comme un valet, un voleur fourbu ?
Tu seras embastillé, sans air ni retraite,
Promis à l’exil, au bagne, au cachot,
Pendu, ou sans jugement
Ficelé et brûlé au fagot
Sans larme ni sentiment.
Le Personnage en noir
C’est toi, rustre impudent, qui ne sais
Quelle haute lignée tu rudoies
Comme une soubrette que tu baisais.
En voulant trousser comme une servante
Celle qui est du Tsar Bien Aimé
Le réconfort, la confidente,
Venue en son nom ta flamme ranimer.
Ce faisant l’Empire tu as offensé
En ignorant que les belles de Russie
Une destinée peuvent casser
Par un exil en froide Sibérie.
Arrivé à destination, le Comte est saisi par des gardes qui le conduisent entravé dans la cour d’un fort, puis, par un escalier sombre et humide, dans un couloir de cellules où croupissent des prisonniers barbus et hagards gisant à terre nus dans des pagnes tirés de sacs de pommes de terre. Une grille s’ouvre, le Comte est jeté sans ménagement dans une sombre cellule où trois corps somnolent d’un ronflement sonore. Épuisé de fatigue, et surtout d’émotion, le Comte s’endort malgré l’inconfort du lieu.

Scène 5

Un petit jour blafard dissipe peu les ténèbres de la cellule. Les trois corps ronflent. Dans un angle, la tête appuyée sur un mur, le Comte dort et ronfle aussi bruyamment. Soudain, un bruit de pas s’élève, une lumière s’approche. Un gardien ouvre la grille avec un trousseau dans un cliquetis de clés. Quatre personnages pénètrent dans la cellule, dont trois gardes costauds qui se saisissent du Comte qu’ils réveillent en le secouant sans ménagement. Le quatrième homme, campé devant le Comte, le dévisage d’un œil perçant, avec un sourire visiblement ironique.
Le Comte
Où suis-je, qui êtes-vous ?
Que fais-je dans la glauque obscurité
En compagnie de voyous et de poux ?
Aurais-je démérité ?
Le quatrième homme
Insensé qui ne sait distinguer
Un trésor de la monnaie de singe,
Se jetant comme un relégué
Sur une princesse comme sur du linge
Sans voir qu’il offense
Celui qui noblement en un exil doré
Maints honneurs lui dispense.
Le Comte
Sire, j’ignorais que Votre Majesté si bonne
Avait eu la grandeur d’envoyer comme ambassadrice
La plus belle perle de la couronne
Au lieu d’une créature de caprices.
Le Tsar (quatrième homme)
Écervelé qui ne sait que luxure.
Là où grâce et volupté irradient un salon
Tu n’as vu là que vile créature,
Bas désirs, animales motions.
Aussi, en ton pays je vais te renvoyer,
Que tu as fui par esprit de lucre,
Indisposant le Batave François Ier
Qui te fera payer le sel et le sucre.
Tu y retrouveras Dominique le priape
Poursuivi par la maréchaussée
Pour de sinistres agapes
Qu’une juste peine devrait rosser.
Grand argentier de l’univers
Il se crut au-dessus des lois,
Ivre de jeux pervers
Sans manière de bon aloi.

Ton grand roi pareillement
De tes ruses éventées te punira 
Et par un lourd châtiment
Ta bourse sitôt épuisera
Pour distraire ses manants
Qui rêvent de prendre une imaginaire Bastille,
Convoitent les écus amassés en peinant,
Sans voir que c’est la France que l’on pille.
Le Tsar frappe dans ses mains et s’en va sans un regard pour le Comte que quatre gardes saisissent et emmènent hors de la pièce.

Scène 6

Le Roi François Ier le Batave est assis à son bureau en son cabinet du Palais Royal. Son visage lisse est impassible. Il lit distraitement quelques papiers. Soudain, on frappe à la porte et sans attendre une réponse, celle-ci s’ouvre.
Un lourd personnage dépenaillé est introduit ou plutôt poussé par deux gardes.
Le Roi
Il commence d’un ton sec un discours longuement préparé. Sa face se déride imperceptiblement d’un sourire amusé et satisfait.
Monsieur de Parleciel, je me retiens
De vous demander si votre voyage
Prélude à cet entretien
Se fit sans nuage.
Je devine que retrouver votre patrie
Est pour vous une joie sans pareille
Tant vous rêviez de Paris,
De son fleuve, de ses merveilles.
Il poursuit avec un accent lyrique.
Comme jadis Du Bellay après son Petit Lyré,
Et sa Loire languissante
(Vous voyez qu’un roi est lettré),
Vous soupiriez comme pour une ravissante
De retrouver votre monarque, en somme.
Devenu sage auprès de Mademoiselle Valérie
Moi aussi, cher Comte, je suis bel homme :
À Madame Ségolène succède une Walkyrie.

Ceci ne plaît guère aux amis du sexe fort
Qui aux femmes préfèrent les jeunes éphèbes
Et veulent sournoisement du mariage la mort
Sans consulter les sages ni la plèbe.
Ils entendent sans foi ni raison
fabriquer dans d’étranges fioles
De pauvres enfants nés sans union
Mais du désir des folles.
De ce tintamarre je ne sais me tirer,
Que j’ai lancé, pour l’avoir proposé.

Vous êtes, cher Comte, bien inspiré
De revenir lamper le bon vin rosé,
Ou plutôt de Bourgueuil le rouge nectar
Qui flatte le teint des jolies femmes
Et leur enlève le cafard,
Noyant dans l’oubli leurs petits drames.

Mais pour l’heure je me dois
De soustraire de vos revenus
Malgré l’avis de vos hommes de loi
Les trésors indûment retenus.
Vous allez donc verser dans ma royale cassette
De quoi payer vaguemestres, maîtres et mitrons
Qui de leurs votes m’apportent la recette
De lendemains acides comme le citron.
Il s’arrête un bref instant pour savourer l’effet produit sur son visiteur au minois décomposé. Content de lui-même, il reprend d’un ton faussement magnanime :
Consolez-vous, cher Comte,
Je vous envoie auprès du Sieur Jacques de la Langue,
Un temps Ministre des Lettres, des Arts et des rimes sans honte.
Ses grands bras ouverts vous protégeront de la dengue
Mais point d’autres maladies car on le dit mignon.
Il pourvoira à votre modeste subsistance,
De gloire vous vêtira mais point de subvention,
S’il lui plaît vous fournira quelques autres substances.

Allez, retirez-vous, faites-vous discret
Afin que s’efface le souvenir de vos rudes facéties.
Je dois à présent tout entier me consacrer
À renouer mes liens avec mon Cousin de Russie.
Je ne sais de quel ton l’aborder au Conseil des Grands
Lorsque de moi il détournera un regard revêche
Pour ostensiblement m’abaisser comme un cancre qui apprend.
Il lira visiblement ses dépêches
Cependant que de mon discours studieux je déchiffrerai
La calligraphie illisible sur de laborieuses antisèches.

Pareillement embarrassé, je me demande comment
Saluer le souriant nouveau roi d’Amérique
Qui d’une main de fer me broie doigts et ligaments
Comme sa Reine venue aussi d’Afrique.

Que dire enfin à la fière reine de Germanie,
Qui tient la clé de sa cassette serrée en ses mains,
Que répondre à l’Empereur de Chine qui par manie
Rit comme si j’étais de son cirque un nain ?

Que murmurer au muet Empereur du Japon
Qui regarde la pendule quand je lui parle
De l’inégal commerce avec l’archipel nippon
Et me conte des histoires de perles ?

Que rétorquer à la Reine de la Perfide Albion
Qui à tout Traité que je lui propose
Objecte par multiples et dilatoires questions ?
Que chuchoter à l’austère Roi d’Italie qui oppose
À toute gabegie du passé le retour à la raison
Et me suggère d’en boire l’amère potion
Sous peine de défaillir comme jadis Jason
Des Argonautes l’illustre champion,
Tandis que les Hellènes pleurent le temps heureux
Où ils se gardaient bien par l’impôt de remplir
Les caisses d’un Trésor avidement épuisé par eux
En prébendes, largesses et tromperies niées sans rougir ?

Et comment ne pas baisser les yeux devant l’ibérique souverain
Qui chasse l’éléphant et envoie son ministre quêter
De quoi payer l’huile d’olive et le grain
Et le renvoi des Basques chez nous arrêtés ?
Comprendrai-je enfin un traître mot de l’envoyé du Bas-Pays
Dont la langue crissante que lui seul manipule
Sans fard ni cafouillis
Un mépris profond mal dissimule ?

Seul me consolera le commerce avec l’aimable Portugais
Qui de doux plaisirs des rivages me parlera
Avant de quémander quelque secours en anglais
Pour payer son séjour, sa diligence et ses repas.

Rien de semblable avec les Scandinaves.
Enchantés d’un modèle qui distille l’ennui
D’un breuvage incolore comme l’eau de vie slave,
Ils s’enivrent toutes les nuits.

Les Polonais encore réclameront pour leurs plombiers,
Aux souverains voisins d’un ton comminatoire,
Refusant à autrui ruiné d’envoyer les subsides pompiers
Remplir une caisse trouée comme une passoire.

Il faudra ensuite de guerre lasse
Que vers les africaines tropiques
Je visite les noirs tyrans rapaces
Qui réclament leurs viatiques.
En m’abreuvant de breuvages bizarres
Et exhibant des créatures en transes.
Ils me traitent d’avare,
Et de monnaie sollicitent une avance.

Quand vient le temps d’honorer les Émirs
Qui, dans le désert récoltent le précieux liquide
Qu’à prix d’or ils négocient à plaisir,
Je sais que l’épreuve m’attend, de goûter l’insipide
Brouet sous la tente sans confort
Avant que de monter à dos de chameau ou de dromadaire
Chasser le faucon en risquant la mort
Pour arracher la vente de quelques canons militaires.
Son visage assombri, il se lève et se retire.

Rideau
1Ce patronyme rend perplexe et laisse poindre un nom de plume.
2Cette primauté est indue. Le royaume avait été déjà gouverné jadis par François Ier dit le Mythe Errand (surnom donné par d’irrespectueux frondeurs), de la branche de Charente, descendant du Duc de Jarnac (voir le « coup » du même nom). Ce chiffre usurpé causa au présent monarque force railleries, particulièrement dans une feuille satirique largement colportée en la capitale, Le Canard Délié, ce qui plongea Sa Majesté dans une ire extrême. Les insolentes plumes n’évitèrent la Bastille si ce n’est l’échafaud que parce que le Sire Emmanuel de Valse, Ministre de la Police, recevait régulièrement de celles-ci en son Cabinet Noir moult rumeurs et échos sur tout ce qui parle et pense en ce pays, savamment orientés vers quelques agitateurs. De surcroît, Monsieur de Valse, natif d’Hispanie, partage quelque amitié avec d’ibériques échotiers. Malgré les avis contraires qui lui furent prodigués, notamment par Dame Ségolène qu’il n’écoutait plus guère, le Roi tint à son numéro contre toute attente, à la grande joie de ses ennemis (surtout le Baron de Sarre-Kozie, ancien monarque déchu originaire de Hongrie), et au grand dam de ses amis, comme Monsieur Héros de Nantes, ancien maître en langues germaniques, choisi comme le premier des ministres pour ne point porter ombrage au souverain.
3L’auteur a visiblement recopié la plus grande part de ces vers des Femmes savantes, acte III, scène 3, de Monsieur de Molière.