De la fatigue et du quiétisme

Par Lucien Chardon

De guerre lasse, j’ai souvent songé à la vanité de se lever le matin, à la vanité de se coucher le soir, et pourtant me suis levé, me suis couché, – et la journée a passé, une de plus, sans que j’aie pu en arrêter le cours. N’est-ce pas un grand mystère que la vie continue quand même on n’en a plus le courage ? Cette force me fascine, qu’expliquent mal les formules pauvres de la chimie ; et je ne comprends ni qu’elle dure, ni qu’elle cesse un jour. Mais que la vie est fatigante.

Il faut que les femmes languissent pour des hommes à leur insu ; et que les hommes entreprennent des femmes qu’ils indiffèrent. Il faut qu’on sacrifie à la farce du sérieux sans savoir jamais si quelque chose qu’on méprise se peut faire : alors daigne-t-on y croire un peu pour renoncer à tout. Il faut que le temps soit gaspillé à plaire à des personnes qu’on n’estime pas, et à manquer ceux qu’on voudrait aimer. Il faut lutter longtemps pour n’avoir rien et laisser le triomphe à ceux-là qui auront la victoire facile. Il faut bâtir lentement ce qu’un instant emportera, ou s’immoler soi-même à la dégradation du temps, faute d’avoir rien fait. Tout use, tout perd. À peine nos efforts nous portent-ils pour ne pas vivre pire, à défaut de vivre mieux. Et se laisser mourir encore est douloureux.

Dieu même veut qu’on œuvre, au lieu qu’on désirerait simplement Sa venue pour que tout finisse enfin.