Lettre ouverte à la génération qui ne transmet pas

Par Lucien Chardon

Vous êtes nos aînés, vous avez façonné le monde où nous sommes, vous en tenez encore les commandes et vous en tirerez tout le bénéfice possible, jusqu’à votre dernier souffle. À nous, vos descendants, vous laisserez à nettoyer les débris de vos possessions et les pollutions de vos jouissances.

Vous avez reçu la prospérité, le travail pour tous, des carrières assurées couronnées par des retraites plantureuses dès la force de l’âge. Vous nous léguez des dettes plus que nul n’en pourra jamais payer.

Vous avez profité d’une instruction publique qui exhaussait les méritants, d’un urbanisme où tout était encore possible, de la démocratie parlementaire, de la protection des plus faibles et de la porte ouverte aux industrieux. Vous nous parquez dans des ghettos dont la seule mesure est le divin argent, sous la houlette d’une caste d’administratifs irresponsables.

Vous êtes nés dans des empires où l’Europe irriguait le monde de sa lumière. Vous avez méprisé ces peuples puis les avez abandonnés à des tortionnaires et des rançonneurs ; et vous avez bricolé un succédané de grandeur avec la prétendue union européenne, mais pour la livrer à la colonisation des argentiers du nouveau monde, des pétroleurs wahhabites et des négociants chinois.

Vous avez grandi dans des familles unies qui vous ont donné votre place, qui furent votre socle et votre assurance. Après vous, il reste le divorce et la morne débauche en fait de tendresse, les mères répudiées, les enfants déracinés, la solitude partout.

Vous avez hérité une culture riche portée par des langues belles, mille ans d’arts dont le sublime a transfiguré l’humanité. Vous laissez après vous des barbouilleurs de mots ou d’images et des bidouilleurs d’ordures, obsédés de concepts grotesques et de déviances sexuelles, tous prosélytes du consumérisme, vos « contemporains » comme ils se font appeler à juste titre, mais qu’on ne peut nommer « artistes ».

Vous avez bu à deux millénaires de sagesse, de Moïse à Aristote, à Augustin, à Bergson, à tant d’autres ! Et vous nous refourguez vos crédulités d’enfants gâtés, les dogmes ridicules du libéralisme économique et de sa consœur la sociologie des genres.

Vous avez eu la foi, vous avez connu les mystères du salut et le nom de Jésus-Christ. Vous avez oublié de transmettre ce dépôt et vous en avez fait des caricatures dont vous avez inondé le monde pour enseigner à en rire, alors que là est la Vie, et vous avez ainsi enfoui le seul trésor véritable, l’Espérance, pour le soustraire aux hommes.

Vous avez tout eu, tout gagné, et tout brûlé en vain, pour de misérables plaisirs, pour rien ; vous avez coupé le fil des générations qui était arrivé jusqu’à vous ; et vous laissez derrière vous le vide.

Votre héritage, nous le solderons et le passerons par pure perte. Nous nous déshéritons de vous. Nous nous refonderons, par-delà vous, pour recréer ce que vous ne nous avez pas transmis.